arts et thérapies

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Gauguin, le demi-dieu qui rêvait d'être un sauvage

Paul GAUGUIN, né le 07/06/1848 à 10h à Paris  - source Didier Geslain

 

Génial précurseur pour les uns, monstre d’égoïsme pour les autres, Paul Gauguin nous apparaît comme un acteur aux multiples visages. L’artiste était-il un visionnaire sincère ou un intrigant calculateur ?  Lire son histoire à travers la grille astrologique conduit à une hypothèse surprenante : et si Gauguin, avait tout simplement sacrifié sa nature aimante pour incarner un destin héroïque ? Car c’est bien d’amour et d’individualité qu’il semble s’agir à plusieurs niveaux : superficiellement dans ses mœurs, profondément dans son rapport à une société à laquelle, se sentant exclu, il peinera toutefois à renoncer.

 

Imaginons que le thème de Gauguin soit construit comme l’un de ses tableaux  - où l’objet reconnaissable tend à être lu comme le symbole d’une réalité invisible – et analysons sa composition. Dans le rôle de la figure monumentale de premier plan, le triangle composé par la Lune, Vénus et Neptune. En arrière plan, la trame abstraite et lointaine du trio Soleil-Jupiter-Uranus. Les reliant de son regard lucide et impénétrable, Pluton, lequel sait bien qu’au-delà de l’illusion d’un retour à l’Eden d’avant le péché originel c’est la juste expression de la liberté individuelle qui se pose aussi bien pour l’homme que pour l’artiste.

 

L’indien et le sensible (triangle dissonant Lune-Vénus-Neptune)

 

Gauguin reconnaît s’identifier à deux facettes qu’il oppose, l’indien et le sensible.  Leur origine commune pourrait se trouver dans le carré natal unissant la Lune à Vénus. L’indien serait l’image-symbole de la Lune, le besoin de naturel et d’harmonie que l’artiste va associer à la vie sauvage des tropiques pour en faire une valeur absolue ; risquons un jeu de mots en soulignant que sauvage doit s’entendre ici comme pur, non altéré, donc Vierge, le signe lunaire de Gauguin. Le sensible représenterait quant à lui l’expressive Vénus dont l’influence semble de prime abord plus visible dans l’œuvre que dans la vie : puissance lumineuse des couleurs qu’il va développer, évocation chromatique qui doit donner le « la » des émotions et du sens… La relation tendue entre ces deux énergies suggère un conflit entre les exigences intimes de l’individu (Lune) et les représentations ou modèles qu’il choisit pour les incarner (Vénus). L’influence trompeuse de Neptune complique encore la situation, rendant confus les sentiments et les besoins réels de l’individu, ou encore les amplifiant jusqu’à le submerger. Le mariage de l’artiste illustre remarquablement cette dynamique potentielle: si créer une famille sécurise Gauguin et semble dans un premier temps le combler, le modèle bourgeois n’est absolument pas adapté à sa sensibilité sur le long terme (ce dont il semble totalement inconscient). Des années plus tard, lorsque son exil permanent le conduit à glorifier formellement (Vénus) la famille primitive (Lune), force est de constater qu’il n’arriver pas pour autant à vivre son idéal d’harmonisation de ses tendances : il ne divorce pas mais cumule les jeunes maîtresses. Son épouse Mette est la première à voir dans ses choix un égoïsme féroce ; le facteur Neptune propose une autre explication : Gauguin suivrait les soubresauts capricieux d’une sensibilité qui l’empêche de voir clair en lui-même, entre ses besoins réels et ses tentations sensorielles.

 

A un autre niveau, cette problématique va s’exprimer à travers l’évolution de l’opposition entre spontanéité et harmonie naïve du monde primitif et civilisation artificielle, vénale, décadente. C’est tout naturellement que Gauguin va choisir l’image mythique d’Eve pour illustrer son propos : sous sa forme occidentale (Vénus), docile et tentatrice, défendue et offerte, ambiguë, elle provoque selon lui la misogynie. Sauvage, elle est purifiée car sans arrières pensées (Lune). Mais tandis qu’il glorifie le naturel des indigènes et dénonce l’artifice des femmes de sa culture, il se plaît à dire à ses multiples conquêtes que l’Olympia  de Manet est un portrait de sa femme ! Cherchant le paradis perdu lunaire, Gauguin joue les coquettes vénusiennes sans jamais choisir ou unifier ses contradictions, que ce soit dans sa vie ou ses toiles. Une fois de plus, entre ce qui est rêvé et ce qui est montré l’artiste s’égare ou s’illusionne (Neptune). Il se voudrait chantre de la vie naturelle, il agit en colon spoliant les trésors culturels des mondes anciens dans l’espoir de séduire ceux qui résistent au charme de son talent. L’entrée de son atelier porte l’inscription « Te Faruru » : « Ici on cultive l’amour ». Lui qui se plait à dire que l’art doit suggérer plutôt que montrer a élaboré un décor de théâtre dont le raffinement (Vénus) s’oppose à la simplicité primitive (Lune), l’artifice au naturel. Il semble que sous l’emprise de Neptune Gauguin s’adapte à son environnement, et si Vénus jouit de ses faveurs à Paris c’est bien la Lune qui éclaire son monde rêvé (vision intérieure). Signac, contemporain et rival, pointera l’incohérence du triangle Lune-Vénus-Neptune : si l’imagination – dans son versant vénusien de pouvoir d’évocation - est aussi puissante que Gauguin l’affirme, pourquoi s’exiler pour créer ?

 

Peut-être parce que c’est dans les îles lointaines que l’artiste trouve finalement les valeurs lunaires que – de son pont de vue - sa société lui a refusées: la gentillesse et l’harmonie avec la « nature », un modèle de famille plus libre et simple, qui trouve dans son environnement de quoi combler ses besoins. Dans cette ambiance, Gauguin se rapproche plastiquement d’une représentation dénuée de romantisme et de clichés, quitte à ce que le rendu soit brut, cru, rustaud mais authentique (Lune dominant Vénus). Il peint avec amour le naturel, la passivité, la vie envisagée au jour le jour, la libre animalité, qui lui manquent vraiment et qui peuvent être perçus comme des vestiges de son enfance péruvienne. L’homogénéité sereine entre les règnes qui symbolise pour le peintre ces valeurs pourrait être chargée d’un autre niveau de lecture « invisible »: la collaboration, soutenue par la foi neptunienne, de l’indien Lunaire et du sensible vénusien.

 

Voyages initiatiques et sacrifices de l’âme (Pluton)

 

Mais la réalité est moins idéale que le rêve, et malgré tous ses efforts, Gauguin ne parviendra pas à dépasser son conflit, à se déciviliser pour devenir un sauvage. Aspirations et réalité ne pourront être simplifiées et modélisées à travers sa vision personnelle quand bien même il entend « fermer petit à petit le cœur sensible » (Uranus). La Lune – l’indien à qui le sensible vénusien a été sacrifié – emprunte la passerelle offerte par Pluton pour accéder à un autre niveau de la personnalité et y affronter un nouveau défi : concilier subjectivité individuelle de l’intériorité et cosmos infini, humanité et divinité.

 

La collaboration de la Lune et Pluton demande à vivre simultanément l’ordre et le désordre, les désirs les plus fous tout en réalisant que c’est égoïste et impossible.  Le voyage entrepris par Gauguin en 1891 pourrait être une expression de cet aspect. Le peintre semble à cette époque convaincu qu’un retour à l’ordre familial sera possible une fois que son art sera reconnu, mais avant il est persuadé qu’il lui faut sacrifier ses liens pour accomplir sa mission d’artiste. La famille c’est une fois de plus la Lune, tandis que la vocation qui le pousse intensément et mystérieusement à aller au bout de sa vérité, c’est Pluton. S’il sait que les apparences jouent contre lui et contre la morale, Gauguin veut croire que quiétude lunaire et pulsion plutonienne sont conciliables à partir du moment où l’on se risque à les vivre en se dépouillant de ses illusions (Pluton). Tel le héros révélé à lui-même par la prise de conscience d’un destin à accomplir, l’artiste s’engage sur la voie de l’invisible en s’apprêtant à explorer sa subjectivité, dans ses actes et dans son oeuvre. Mais le chemin de l’affirmation de soi est semé de crises et d’injustices (tension Mars-Pluton) ; la recherche spirituelle est contrecarrée par les contraintes du réel, croyances et faits ne s’accordent pas…et cela apparaît rapidement inacceptable ! Ceci est particulièrement manifeste les dernières années de sa vie aux îles Marquises, où l’artiste s’épuise dans des procès dus à ses attaques virulentes et ses provocations envers l’ordre « bourgeois » des colons et missionnaires. Il devient pour ces compatriotes « Gauguin l’anarchiste, la brute, combattant sauvagement pour un monde meilleur ». Ainsi l’idéal pacifiste de Gauguin se voit-il continuellement mis à l’épreuve des réalités terrestres, le conduisant à dénigrer ses victoires, à adopter des conduites destructrices ou à s’en vouloir de ne pas vivre l’absolu. L’idéal de sagesse et de détachement peine à être vécu.

 

De ce point de vue, son voyage tahitien apparaît comme symbole d’une purification initiatique qui va le conduire vers la fin de sa vie à relativiser l’individualité toute puissante : sur la toile, les multiples formes du vivant sont sur un pied d’égalité face à l’imbrication de la vie et de la mort comme en témoigne son chef-d’œuvre D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?. Lui-même, l’artiste visionnaire s’efforçant de mépriser le monde qui le touche si terriblement par ses distorsions et son chaos, admet ne pas échapper à cette loi naturelle. Sa supériorité, réelle ou supposée, ne l’élève pas au rang des dieux. Esclave de ses conditionnements sociaux, il fait bien partie de l’humanité cosmopolite qu’il chérit et honnit à la fois, même s’il force peut-être le trait de ses défauts pour mieux jouer le rôle de antihéros mythique dans lequel elle serait prête à le reconnaître.

 

« Je suis un grand peintre et je le sais » (trio Soleil-Jupiter-Uranus)

 

A l’arrière plan de la vie de Gauguin – comme une réalité cachée derrière les évènements – le choix entre ambitions personnelles et rébellion face au conformisme se pose (tension Pluton-Jupiter) et éclaire la perception qu’ont pu avoir de lui ses confrères. Excessif, il dérange autant par ses intrigues visant à retrouver le confort de sa vie bourgeoise par son statut d’artiste rebelle, que par sa capacité à aller au bout de ses prises de position. Décidé à réussir comme marginal au même titre qu’il avait réussi comme père et comme bourgeois, Gauguin se fait reflet de la lutte intérieure entre l’ange et le démon tentateur. Vision ô combien désagréable puisqu’elle rappelle à l’homme moderne l’animalité instinctive qui se heurte à ses idéaux les plus nobles. L’enjeu est ici de traverser ses ténèbres pour passer d’une recherche de pouvoir sur autrui à la maîtrise de soi-même.

 

Solaire, Gauguin trouvera temporairement à Pont-Aven la reconnaissance de sa valeur à travers le statut implicite de maître ; il écrit ainsi à sa femme « (je suis) « respecté comme le peintre le plus fort de Pont-Aven » (…) tout le monde se dispute mon conseil ». Il se doit d’être à la hauteur de cette image valorisante (Soleil) de créateur d’avant-garde (Uranus), et pour asseoir son autorité il va la mettre en scène (Jupiter). Il sait que pour atteindre la liberté qu’il recherche il faut jouer le génie et entretenir son mythe auprès de ses compatriotes, se présenter comme un élu pour justifier ses exigences, quitte à en assumer aussi les ombres en tendant à la société le miroir où affronter son âme viciée (Pluton).

 

Comme tout avant-gardiste il voit dans la société une camisole dont il faut s’émanciper par l’opposition pour créer. Mais il va trop loin, y compris pour les autres prétendants à la révolution artistique que sa marginalisation extrême renvoie à la mollesse de leur engagement. On pense à la tension entre Jupiter et Uranus : l’aspect suggère une difficulté à  se réaliser car si le potentiel d’autorité et  d’ambition est présent, il est gêné par des erreurs tactiques dues aux excès, à l’impatience, la précipitation, au manque de diplomatie quand il ne s’agit pas « d’auto-sabotage ». S’affirmer avec orgueil est aisé mais choisir les moyens de parvenir à ses fins est compliqué. L’enjeu sous-jacent est de concilier révolution et conservatisme. Ainsi la période bourgeoise de Gauguin illustrerait un apparent respect des normes masquant une sourde rébellion (Jupiter dominant Uranus), tandis que l’aventure viserait à la construction d’un nouvel ordre en jouant sur les codes ou modes en vigueur (domination d’Uranus). Le natif marqué comme Gauguin par cet aspect est particulièrement sensible aux « failles » du pouvoir, et s’il est conscient d’un rôle à tenir, il se sent pris entre le besoin de légitimer ses actes et la tentation constante de remettre en question l’ordre. L’un de ses amis proches, Schuffenecker,  lui dira que s’il avait été plus conformiste dans sa révolte il aurait été suivi. Par ce constat, il révèle la partie immergée de la personnalité de Gauguin : le créateur qui s’autorise à tout oser au nom de l’ordre nouveau dont il est porteur.

 

Malgré ses résistances jupitériennes, Gauguin s’évertuera au fil des années à suivre ce qu’il sent être sa nature profonde et que l’on pourrait associer sur le plan astrologique à la relation harmonique entre le Soleil et Uranus. Dans ce contexte, l’image que l’on donne à voir - notre représentativité - est en accord avec l’être profond car nourrie des grands archétypes collectifs universels. On vit ce que l’on est, sa vérité, sa légende personnelle. Penser c’est s’engager, et cela ne supporte aucune légèreté. On recherche des jugements universels formulés succinctement mais précisément, ce qui peut rendre hermétique car les images (ou formes) utilisées pour se faire risquent de manquer de chaleur ou de concret. Voilà défini peut-être l’aspect le plus caractéristique de la peinture de Gauguin : la réduction du multiple au simple par l’abstraction (synthétisme, syncrétisme), un procédé qu’il associe à la pensée tahitienne.

 

C’est pourtant à Pont Aven, qu’il commence à développer son propre langage pictural avec Emile Bernard. Nommé alors « cloisonnisme » en référence aux émaux médiévaux, sa technique sépare les surfaces colorées par des contours épais, rigides, dogmatiques. Leur valeur est égale à celles des peintures encerclées. Lignes et surfaces représentent la réalité de l’objet (représentation solaire) et en même temps leur indépendance évoque l’abstraction (simplification uranienne). On note plusieurs niveaux de lecture simultanés : au premier plan la représentation d’un objet reconnaissable, au second plan les unités texture-couleur / ligne-surface / objet-ornement qui renvoient à un monde caché derrière les apparences, à un aller-retour entre l’unité finale et la diversité originelle (fonction uranienne). Ce monde plus profond est invisible aux yeux physiques, il se passe de l’expérience charnelle pour exister. La Vision après le sermon, est un exemple intéressant de cette dynamique. On trouve dans le tableau une triple référence esthétique et culturelle - folklores oriental, primitif et chrétien – mise en scène (Jupiter) par la juxtaposition du quotidien et du surnaturel. Par ce « syncrétisme », Gauguin cherche la forme unique appropriée à la vision personnelle qu’il entend communiquer (but d’Uranus). Il veut que se rejoignent Vision universelle et vision personnelle. Pour lui l’artiste est l’interprète des éléments les plus invisibles de l’esprit. Il fait le lien entre les lignes, couleurs, et l’implicite qu’elles révèlent en nous. Lors de son bref séjour à Arles, il démontre sa maîtrise de ce procédé en combinant plusieurs toiles de Van Gogh. Ainsi Au café (mme Ginoux) présente-t-il à la fois le lieu et sa propriétaire, l’individu et son univers.  Cette « participation distanciée à l’humain » est la marque du sacrifice du sensible ; si le travail de la couleur et la stimulation des sens appartiennent au monde de Vénus, le regard dénué d’affect qui est porté sur des personnages de plus en plus proches de la statuaire est typiquement uranien.

 

Ce que la Bretagne a révélé, les tropiques vont le sublimer à travers des  coloris extrêmes engendrant une vision surnaturelle. Pissarro dira alors de la peinture de Gauguin qu’elle est asociale, autoritaire et mythique car indifférente au progrès social.  Le goût de l’ordre – Gauguin déteste l’improvisation - et des hiérarchies où chacun tient dignement son rôle pour que fonctionne l’ensemble transparaît dans la période tahitienne. Gauguin continue de travailler à partir de sources différentes qu’il unifie (synthétisme) en s’avançant vers un minimalisme graphique. L’évolution de l’oeuvre s’avère plus thématique que formelle ; les mythes, la végétation, l’environnement, traduisent les états paradisiaques qu’est sensé vivre Gauguin (Soleil : maintien d’un idéal). L’alliance de l’humain et du divin, la pénétration du surnaturel dans le quotidien, sont des images symboliques qui touchent l’âme sans passer par l’affect  d’où un sentiment d’étrangeté dans la représentation (langage visuel schématisé d’Uranus). En comparant créativité humaine et création divine, Gauguin nous amène à nous interroger sur la finalité de l’humanité qu’il valorise : l’homme n’aurait-il pas la vocation de s’élever au rang des dieux qui descendent si souvent parmi eux (Christ, dieux maoris) ?

 

C’est peut-être cet idéal universel de grandeur uranien et solaire qu’il a voulu projeter sur les maoris, lui opposant sous les traits de la civilisation la bassesse, la lâcheté, la servilité, qu’il méprisait tant (y compris en lui-même). Les dernières peintures de Gauguin le montrent plus lucide, acceptant l’évidence : devenir sauvage est impossible, même lorsqu’on joue avec tant de talent le rôle d’un « demi-dieu »,  et invoquer le vivant (la Lune) ne suffit pas à gommer les différences culturelles. Gauguin voulait sincèrement être converti par les indigènes, il est resté prisonnier de son monde. L’indien n’a pu avoir raison du sensible et le héros meurt avant de vivre le triomphe annoncé par son fidèle ami Monfreid depuis Paris. Son destin tragique n’aura pas été vain : il est enfin devenu une légende immortelle, un dieu à part entière du panthéon de l’art moderne.

 

 

Bibliographie

Gauguin, Ingo Walther ( ed Taschen)

Gauguin, Nicolas Wadley (ed. Sacelp)

 

Les citations sont tirées de l’ouvrage de Ingo Walther.



11/03/2011
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